Non l’évènement financier de l’année n’est pas forcément le Covid !
Depuis 20 ans ?
Certains d’entre vous se rappellent du scandale d’Enron, entreprise américaine du secteur de l’Energie qui avait fraudé en 2001. Le scandale s’est soldé par la faillite de l’entreprise, un temps septième capitalisation boursière[1] des États-Unis, et par le démantèlement et la disparition de facto de son auditeur Andersen. Il s’agit à l’époque de la plus grande faillite de l’histoire américaine. L’affaire Enron a donné lieu à un nombre sans précédent d’enquêtes officielles, d’actions en justice et de réactions des médias à travers le monde. Elle a mené à la création de nouvelles lois et normes dans le domaine de la gouvernance d’entreprise, de l’audit, de la comptabilité et du conseil. On ne pensait certainement pas qu’un scandale de cette ampleur puisse arriver un jour.
Wirecard
Installée depuis sa création en 1999 près de Munich, Wirecard garantit des règlements de transactions effectuées en ligne par des entreprises — compagnies aériennes, agences de voyage, pharmacies en ligne etc. Wirecard assure (contre une prime de risque) que les commerçants seront payés lors d’achat via un smartphone, une carte de débit ou un compte PayPal. Intéressant à noter, mais la firme avait pour principaux clients, à ses débuts, des entreprises sulfureuses du milieu des jeux d’argent et de la pornographie.
La firme revendique plus de 300 000 entreprises clientes dans le monde et des accords passés avec les géants chinois du paiement mobile Alipay et WeChat, après ceux avec Apple et Google. Des clients ont néanmoins commencé à le déserter ces derniers jours, comme en France l’opérateur Orange qui songe à changer de partenaire pour sa filiale Orange Bank, selon la presse.
La firme se trouvait, avant la chute, dans le DAX 30 : l’indice boursier allemand qui rassemble les 30 plus importantes capitalisations boursières allemandes – l’équivalent de notre CAC 40. Ce n’est clairement pas une petite société ! Rappelons que ces sociétés, qu’on appelle parfois « Blue Chips » sont censées émettre des actions franchement moins risquées que leurs comparses de plus petite taille.
Que s’est-il passé ?
Ils ont falsifié leurs comptes, tout simplement. La firme a déposé le bilan le 25 Juin 2020.
Que s’est-il passé ? Depuis quelques années, il existait des soupçons de fraude mais seulement sur des « petits » montants. Mais c’est surtout en janvier 2019 que tout a commencé, lorsque le Financial Times publie le premier d’une série de 3 articles concernant des soupçons de falsification de documents en violation de lois de Singapour. La BaFin[2] réagit alors bizarrement : d’abord, en février 2019, elle interdit les ventes à découvert (le short, pari à la baisse) d’actions Wirecard ; ensuite, sur proposition de Wirecard, elle met en examen des journalistes du Financial Times et certains de leurs collègues, mais elle s’abstient de lancer des contrôles sur Wirecard ![3]
Le conseil de surveillance va ensuite demander un audit à KPMG (un des 4 plus grands cabinet d’audit), et la société va déclarer qu’il n’y a pas d’anomalies, ce qui va rassurer les investisseurs. Mais le constat de KPMG est aux antipodes : le cabinet annonce le 30 avril 2020 qu’il ne peut pas rendre de conclusion, n’ayant pas pu consulter des documents suffisamment probants.
Dans la foulée, en juin 2020, Ernst & Young (EY, un autre des 4 grands cabinets d’audit) refuse de certifier les comptes de Wirecard. L’entreprise reconnaît le 22 juin la perte très probable de 1,9 milliards d’euros aux Philippines. Markus Braun, second de l’entreprise, est arrêté, puis immédiatement libéré le 23 juin, contre le versement d’une caution de 5 millions d’Euros. Le même jour, il vend des actions de la société pour une valeur de 155 millions d’Euros, ne conservant que 2,5 % du capital de l’entreprise, alors qu’il avait auparavant plus de 7% de la société. La société dépose son bilan le 25 juin. Le cours de bourse, qui avait atteint 192 euros en septembre 2018, a chuté par paliers successifs à 12,30 euros le 24 juin 2020, puis chute encore de 70% le 25 juin à environ 1,8 euros.

L’ancien directeur général adjoint, Jan Marsalek, qui avait été suspendu le 16 juin, disparaît aux Philippines puis peut-être en Chine, et est fortement soupçonné et recherché par la justice. Il est fortement probable que Jan Marsalek soit un espion de grande envergure. Selon le site web Bellingcat Marsalek se serait réfugié en Biélorussie et pourrait avoir des liens avec le FSB[4], services secrets russes.
Un scandale d’une telle ampleur sur une entreprise de cette envergure, bien que ça ne soit pas du jamais vu, est extrêmement rare. On se dit souvent que des entreprises scrutées par littéralement des millions d’investisseurs seraient exemptes de ce genre de problèmes… Mais comment les sociétés d’audit n’ont-elles pas pu s’inquiéter de près 2 milliards d’euros dans une banque philippine ? Le temps nous le dira.
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[1] Cela signifie (en faisant une grosse approximation) que, des entreprises américaines cotées en bourse, c’était la septième plus grosse.
[2] Le Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht est l’office Fédéral de surveillance financière de l’Allemagne.
[3] « Wirecard : comment l’Allemagne a tiré sur le FT, porteur de mauvaises nouvelles », Les Echos, 20 juin 2020 (lire en ligne [archive], consulté le 25 juin 2020)
[4] Christo Grozev, « World’s Most Wanted Man Jan Marsalek Located in Belarus; Data Points to Russian Intel Links », Bellingcat, 18 juillet 2020.