Jeudi dernier, la Banque Centrale Européenne a décidé d’étendre ses rachats d’actifs aux « Fallen Angels ». Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’argent coule à flot, encore !

« Fallen Angels »

On parle de Fallen Angels (Anges déchus en français) pour décrire les obligations qui étaient classées « Investment Grade » c’est-à-dire très peu risquée et qui sont devenus des « Speculative Grade » ou « Junk Bonds », des obligations à haut rendement (high yield) plus risquées. Ces obligations sont émises par des états ou des entreprises considérées comme très solvables mais que la conjoncture économique (ou autre) a fragilisé.

S&P/fitchMoody'sGradeSolvabilitéExemple de notation d'État souverain (source: Fitch Ratings)
AAAAaaInvestment GradeMeilleure qualité possibleCorée du Sud
AAAaInvestment GradeExcellenteFrance (cocorico !)
AAInvestment GradeBonneArabie Saoudite
BBBBaaInvestment GradeMoyennePortugal
BBBaSpeculative GradeMoyenne basseVietnam
BBSpeculative GradeSpéculatifÉthiopie
CCCCaaSpeculative GradeMauvaise qualité, risque élevéMozambique
CCCaSpeculative GradeTrès spéculatifArgentine
CCSpeculative GradeQualité la plus basse, défaut très probableVenezuela
DSpeculative GradeDéfaut

Le tableau ci-dessus vous décrit les notes des trois agences principales de notation que sont Standard & Poor’s[1], Fitch Ratings et Moody’s. Les notations peuvent plus légèrement avec des + ou des -. Par exemple, le Qatar a une note AA- chez S&P, ce qui signifie que c’est un emprunteur d’une qualité légèrement inférieure à l’État français. Les risques des obligations souveraines sont complexes et ne regroupent pas uniquement le risque de défaut. Et le risque de défaut n’est pas forcément dû à une incapacité à payer mais peut-être aussi la résultante d’une décision réfléchie. Cela fut le cas du président équatorien Rafael Correa qui a montré à la suite d’un audit national que de nombreux prêts avaient été accordés en violation des règles élémentaires du droit international[2].

Quoiqu’il en soit, vous pouvez constater que les « fallen angels » sont les sociétés ou états qui passent d’une note de BBB/Baa à BB/ba.

La BCE prend tout

Environ 275 milliards de dollars d’obligations de sociétés non financières pourraient devenir des fallen angels au cours de l’année prochaine, a estimé l’OCDE en février.[3]

La Banque Centrale Européenne a décidé d’élargir ses critères et d’accepter les fallen angels (alors qu’auparavant elle ne rachetait que les titre de qualité « investment grade »). On parle alors d’assouplissement qualitatif.

Assouplissement qualitatif : définition

On désigne ainsi les mesures de politique monétaire d’une banque centrale qui, lorsqu’elle accorde aux banques commerciales les liquidités qui leur manquent, accepte de prendre en garantie, des créances de moins bonne qualité que celles qu’elle exige généralement. Ainsi, en temps normal, la BCE n’accepte que des créances sûres et ne présentant quasiment aucun risque. Mais la crise économique et financière a changé la situation. En effet, certaines banques ne disposaient plus de garanties d’assez bonne qualité pour bénéficier des liquidités de la BCE. Afin d’éviter une crise de liquidité généralisée, la BCE a assoupli ses exigences en acceptant des garanties de moindre qualité.
De telles mesures de politique monétaire sont dites « non-conventionnelles », comme on l’avait mentionné dans notre article « Si on jetait l’argent par les fenêtres ? ». Cela au même titre que l’assouplissement quantitatif.

Pourquoi ?

Tout d’abord, n’oublions pas que les fallen angels représente un marché d’une taille sans précédent.  L’UBS a précisé que, depuis 2011, les obligations européennes notées BBB-, sont passées de 330 milliards d’euros à 1,14 milliard d’euros. De plus, les émissions de junk bonds notées BB sur le marché du haut rendement sont passées de 74 milliards d’euros à 185 milliards d’euros au cours de la même période.[4]

Ensuite, l’objectif est d’amoindrir l’impact des baisses de notations sur l’économie, afin d’éviter les effets boule de neige :

  1. Une entreprise en difficulté voit sa note financière baisser ;
  2. Son coût du capital augmente ;
  3. Étant déjà en difficulté, elle passe le point de non-retour où elle devient déficitaire
  4. Son coût du capital augmente avec le risque de défaut
  5. Elle fait défaut et enfin ;
  6. Elle fait faillite.

Ce scénario peut vous paraître extrême mais il est tout à fait possible (et c’est d’ailleurs ainsi que les entreprises font faillites). Dans le cas des états c’est plutôt pur éviter une crise de la zone euro, qui impacterait beaucoup les principaux pays de la zone. Je ne vous donne pas leur nom mais vous avez compris.

« La BCE agit pour limiter l’action procyclique des agences de notation, et pour protéger les états comme l’Italie d’une dégradation de leur notation. Les entreprises high yield (NDLR : Hauts rendements = Risquées) et les PME représentent une part importante de l’économie réelle. Il est important que l’aide n’aille pas seulement aux grandes entreprises ».

Alberto Gallo, gestionnaire de portefeuille du hedge fund Algebris Investments

Mais aussi

Ces règles dureront jusqu’en Septembre 2021. On reste toujours sur cette tendance que mes plus fidèles lecteurs auront remarqué aussi : la BCE fera whatever it takes pour sauver l’économie. Les taux vont sûrement rester bas pendant longtemps, augmentant toujours plus l’endettement privé et public. Sauf s’ils annulent les dettes ? On parlera de cela dans un article qui sortira prochainement !

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[1] Qu’on appelle généralement S&P (à lire à l’anglaise), c’est d’ailleurs l’origine du S&P 500 : l’indice est calculé par S&P !

[2] Damien Millet & Eric Toussaint. (2015) L’Équateur dit « non », par Damien Millet & Eric Toussaint (Le Monde diplomatique, mars 2015). Retrieved April 23, 2020, from https://www.monde-diplomatique.fr/2015/03/MILLET/52736

[3] Delphine Strauss. (2020) OECD warns on risk of ‘fallen angels’ in swollen bond markets | Financial Times. Retrieved April 24, 2020, from https://www.ft.com/content/a86213b2-3910-11e9-b856-5404d3811663

[4] Martin Arnold in Frankfurt, Eric Platt in New York and Katie Martin in London. (2020) ECB loosens collateral rules to accept ‘fallen angel’ bonds | Financial Times. Retrieved April 24, 2020, from https://www.ft.com/content/4012aedd-dbfa-4d12-92ce-2e087a8c353d

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